Le terme de misophonie est inadapté. Etymologiquement, miso vient du grec et signifie « haine ». Phonia signifie son. En bonne traduction littérale : la haine du son. Cela revient à nommer incorrectement la réalité du trouble. Nous allons tenter ici de redéfinir la notion de manière plus idoine. Nommer le trouble de manière appropriée, c’est déjà donner la chance à une description plus correcte et plus compréhensible pour une personne extérieure à la misophonie. Bref, appelons un chat un chat.
La recherche sur la misophonie est encore au stade infantile, ce qui laisse la place au potentiel de grandes avancées futures.
Il reste tant à faire et à découvrir !
Les sources sérieuses à ce sujet sont malheureusement exclusivement anglophones, comme beaucoup de sujet en recherche. La France n’est pas en pointe sur ces domaines. Fuite des cerveaux oblige. Et quand bien même des scientifiques français s’intéresseraient à la question, les études épidémiologiques n’étant qu’estimatives, on maitrise encore mal la prévalence ainsi que l’incidence de ce trouble. Il serait difficile pour les scientifiques d’être soutenu sur le sujet par des subventions qui permettraient une recherche, ou alors il faudrait que ces chercheurs soient économiquement indépendants. Et quand bien même ils seraient amenés à publier un article sur le sujet, ce n’est pas la langue de Molière qu’ils utiliseraient, mais celle de Shakespeare, langue commune incontournable en terme de publication scientifique.
La misophonie n’est pas en réalité une « haine du son » ou une « aversion pour le bruit ». Elle est avant tout un trouble neurologique. Le terme porte à confusion.
Le professeur Jastreboff propose initialement le terme de DST pour « decreased sound tolerance », trouble de la diminution de la tolérance aux sons. Mais ce terme est très large et inclut des pathologies auditives différentes, pouvant décrire tout aussi bien la misophonie que l’hyperacousie.
Puis, au fil de ses recherches, Jastreboff propose un autre nom : il baptise ce trouble le syndrome 4 « s » pour « selective sound sensitivity syndrome », donc un syndrome de sensibilité sélective aux sons, ce qui est un nom déjà plus pertinent, qui décrit déjà mieux la réalité du trouble.
Il se trouve que notre cerveau va garder en mémoire certains sons qu’il déclarera comme dangereux. Tout cela se passe au niveau subconscient, c’est-à-dire en dehors du cortex (zone anatomique du cerveau permettant la fonction cognitive, la fonction de réflexion et d’abstraction).
Les américains évoquent la misophonie comme étant un trouble, non une maladie.
Enfin, Tom Dozier propose le terme de CARD pour « conditioned aversive reflex disorder », soit trouble du réflexe d’aversion conditionné. Ce nouveau baptême, même si il marque moins les esprits, et qu’il est difficile à retenir, a le mérite d’être encore plus approprié sur le plan descriptif, car il se focalise sur la dimension du réflexe du trouble, et donc du conditionnement. Il inclut à la fois la réponse émotionnelle conditionnée et la réponse physique. En effet, la grande avancée de Tom Dozier, est d’inclure dans son schéma de description de la physiopathologie la notion de réponse physique, qui intervient avant la réponse émotionnelle. C’est d’ailleurs la grande différence sur le sujet qui le distingue du professeur Jastreboff.
La volonté de classification
Un petit mot sur les classifications : depuis Aristote, nous avons pris l’habitude d’organiser la logique humaine selon deux concepts de base : le syllogisme et la catégorie. Je ne développerai pas le syllogisme, ce n’est pas ici le sujet. Mais pensons aux catégories. La catégorie fait partie de notre base logique, de notre logiciel de compréhension du monde. On parle de science des catégories, ou de science des classifications. C’est à la fois très réducteur, mais aussi très pratique, car c’est un outil de compréhension pour avancer dans la recherche.
Il existe de nombreuses classifications en psychiatrie, nous nous bornerons à citer les 2 classifications les plus connues :
-la CIM-10 : la classification internationale des maladies, qui est une classification française.
-le DSM-5 : le manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux, classification américaine, de loin celle qui prévaut actuellement
Certains psychiatres aimeraient classer la misophonie comme étant un trouble psychiatrique à part, car il se trouve qu’ils ont étudié un panel de patient misophones ayant des comorbidités psychiatriques. Cependant, ces psychiatres n’ont pas tenu compte de leur biais : ils ont réalisé leur étude uniquement sur un public de patients psychiatriques, dont certains s’avéraient être également misophones. Toutefois, il n ‘y a aucun lien de cause à effet entre pathologie psychiatrique et misophonie. Les conséquences de ce trouble neurologique conditionné peuvent en revanche avoir un fort impact sur le plan psychosocial. La misophonie est porteuse d’un retentissement psychologique important, tout en étant déterminée par une étiologie neurologique, sans être strictement génétique (car nécessite un apprentissage passant par l’expérience).
La misophonie peut affecter la santé mentale, mais elle ne fait pas partie du champ de la psychiatrie. Ne nous trompons pas de terrain ! Même si une personne plutôt anxieuse et irritable a plus de chance d’exprimer la misophonie, les personnalités des misophones ne sont pas stéréotypées et peuvent être multiples, à savoir de tout bord, dans la sphère du normal comme dans celle du pathologique (si tant est qu’on puisse établir des frontières clairement définie entre le normal et le pathologique).
Un peu d’épistémologie : notion d’évolution dans le champ de la psychologie en général et de la psychiatrie en particulier
Le nom même de misophonie est amené à changer, tant cette maladie n’a pas été encore bien circonscrite. On est ici dans une problématique de classification.
Pour la petite parenthèse analogique : je vous propose d’examiner ce qu’il s’est passé à l’époque avec la dénomination du trouble de conversion (anciennement appelé hystérie).
La misophonie n’a absolument rien à voir avec le trouble de conversion. Mais l’exemple est ici donné pour que vous puissiez comprendre l’évolution des mentalités et des paradigmes concernant les troubles dans le champ de la psychiatrie.
L’évolution des mentalités sur l’hystérie est le meilleur parallèle qu’on puisse faire pour comprendre l’évolution des représentations que l’on se fait d’une maladie au cours du temps.
L’hystérie est connue depuis bien longtemps. Selon les premières recherches de Freud, l’hystérie serait la réponse corporelle à un traumatisme sexuel subi pendant l’enfance. Ici, un événement réel serait la cause d’un traumatisme psychique. Freud parlait alors de la théorie de la séduction, théorie qu’il abandonne par la suite.
Freud lance la notion de trouble de conversion, terme empruntée à la thermodynamique, pour décrire la transformation d’une énergie psychique en énergie physique. Alors que l’on pensait que l’hystérie était exclusivement féminine <étymologiquement hystérie vient de « utérus »>, Freud montre que certains hommes peuvent être également touchés, même si c’est moins fréquent.
Aujourd’hui, la notion d’hystérie a disparu des classifications du DSM et de la CIM, pour être rebaptisé trouble de conversion, puis plus récemment encore rebaptisé trouble neurologique fonctionnel. En effet, on retrouve dans ce que l’on nommait classiquement l’hystérie puis trouble de conversion des symptômes d’allure neurologique. Cela est révélateur également de l’évolution de la vision moins « freudienne » et plus « neuro-sciences » de la psychiatrie actuelle.
On retrouve dans le trouble neurologique fonctionnelle (hystérie) la triade :
-signes moteurs (dystonie, tremblement, aphonie, diplopie)
-signes sensitif/sensoriel (diminution de la sensibilité, cécité, surdité, hallucinations)
-signe de malaise ou de convulsion (mouvement anormaux, crise non épileptique psychogène).
Mais revenons à nos moutons. Cet exemple sur l’hystérie me permet de décrire l’évolution des mentalités au fil des découvertes et les changements de terminologie en fonction des avancées de la recherche et des représentations de l’époque sur tel ou tel sujet. Nous sommes aujourd’hui en 2020 et je gage que la misophonie subira le même sort dans 10 ou 20 ans. On le voit déjà avec le terme de « CARD » apporté par Tom Dozier. C’est important de le noter, car l’étymologie même de la misophonie porte à confusion.