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Les carnets de la misophonie – volume 1

Editorial

Bienvenue à cette première livraison des carnets de la misophonie. La misophonie, ensemble, pas à pas, vers la guérison. Vous pénétrerez ici progressivement dans les arcanes du cerveau, dans les méandres complexes de la gaine de myéline, dans les mystères du systèmes limbique, dans le réflexe animal de la fuite ou du combat. Encore une énième fois, retenez-vous de tout casser, évitez d’égorger vos parents, votre compagne, vos collègues de bureaux ou votre propre enfant,  trouvez vos propres stratégies d’adaptation, partagez- les et venez ici vous abreuver des toutes nouvelles connaissances disponibles sur le sujet. 

Etat des lieux. La misophonie, qu’est-ce que c’est ? Ce petit billet a d’abord pour objectif de comprendre, d’expliquer. Il aura également une dimension d’étayage, de soutien pour les moments de vulnérabilité. Il vous expliquera comment se créer son havre de paix dans cette barbarerie de stimuli incommodants. 

Ces carnets se proposent d’élucider et d’accompagner les mystères et les difficultés auxquelles toute personne touchée par la misophonie ou toute personne ayant dans son sillon un misophone se retrouve confrontée.

Qu’est-ce que la misophonie?

Certains bruits qui paraissent anodins pour les autres vous insupportent ? Bruits de bouche, de mastication, de déglutition, de reniflement, de respiration ?

Vous ne supportez pas quand votre collègue de bureau croque dans sa pomme ?

Vous avez des envies de meurtre quand quelqu’un s’assoit à côté de vous avec du pop corn au cinéma ? Le simple fait d’entendre quelqu’un croquer dans une chips vous est intolérable ?

Vous avez des images de boucherie dès que vous entendez ces sons ?  Vous voudriez envoyer tout ces gens à l’abattoir, se faire déchiqueter en guise de punition ? Il se pourrait bien que vous souffriez de misophonie.

La misophonie est caractérisée par une réaction émotionnelle extrême à des sons banals ou à des images de la vie quotidienne. Ces sons sont pourtant de basse intensité. En fonction de l’intensité de la misophonie, le sujet peut éprouver des émotions d’irritation, de colère, de haine ou de rage. Cette réaction émotionnelle est « actionnée » par des sons « déclencheurs ».

Ces « déclencheurs » varient en fonction des individus, mais ils tournent bien souvent autour de la sphère ORL, et s’étendent même au cliquetis des claviers ou des stylos.

Bien souvent les sons déclencheurs sont les bruits de bouche, de déglutition, de mastication, de respiration, ainsi que le son de certaines consonnes, comme le « s » ou le « p », et globalement les consonnes gutturales.En phonétique articulatoire, une consonne gutturale (du latin guttur « gorge ») est une consonne dont le point d’articulation se situe dans la gorge ou l’arrière-bouche, et plus exactement vers le voile du palais.

Le déclencheur peut également être visuel : le mouvement des joues d’une personne qui mastique et retourne les aliments dans sa bouche, une personne qui croise les jambes, qui s’enroule les cheveux sur eux-mêmes… On appelle alors cela la misokinésie, et elle est bien souvent associée à la misophonie. Si la misophonie est maladroitement appelée la haine du son, la misokinésie serait la haine du mouvement. La misophonie est donc à la haine du son ce que la misokinésie est à la haine du mouvement.

Diagnostic différentiel

Il est important de délimiter le champ de la misophonie, en décrivant ce qu’elle n’est pas, afin de ne pas se tromper de terrain et de diagnostic. Nous aurons donc ici une approche par la négative, qui nous permettra d’éliminer minutieusement les éléments non constitutifs de la misophonie, afin de mieux en appréhender les contours. Nous procédons ici au diagnostic différentiel. Parfois, on retrouvera certains signes présents dans la misophonie et présents également dans d’autres pathologies (l’hyperactivitation du système neuro-végétatif retrouvé également dans le stress post traumatique par exemple). Pour autant, il ne faut pas mener de conclusions hâtives. Ce n’est pas parce qu’on observe tel ou tel signe en commun qu’il faut faire un amalgame entre les pathologies. La misophonie constitue un tableau bien précis au niveau physiologique. Les signes et symptômes arrivent selon un déroulé bien spécifique, avec une cohérence de fonctionement propre à la misophonie, dont la physiopathologie est singulière. Cette approche par la négative est importante, car elle permet d’affuter son regard. Et de ne retenir par la suite que ce qui concerne la misophonie, afin en ligne de mire de cibler un traitement efficace. 

1/La misophonie est à différencier de la phonophobie.

La phonophobie est la peur d’un son, la panique provoquée par certains sons spécifiques, par exemple un enfant qui serait effrayé par le son d’une chasse d’eau.

2/La misophonie est à distinguer également de l’hyperacousie

L’hyperacousie se manifeste par une intolérance à certains sons dans leur fréquence et intensité, ces sons étant perçus plus fort qu’ils ne le sont en réalité. Les acouphènes sont alors souvent présents en comorbidité. Il s’agit ici d’une intolérance aux bruits due à un dysfonctionnement du système auditif.

3/La misophonie est à distinguer de la synesthésie

La synesthésie correspond à un trouble de la perception des sensations, à travers lequel le sujet associe deux ou plusieurs sens à partir d’un seul stimulus.

Parfois la personne peut associer un son à une couleur : on parle alors de synopsie. La personne peut associer une lettre à une position dans l’espace ou une date à une personnalité. Autre exemple : des lettres, des chiffres, pourtant imprimés en noir, entraînent la perception de couleurs.

4/La misophonie est à distinguer de l’hypersensibilité.

Cette dernière étant une sensibilité plus haute que la moyenne sur le plan affectif.

5/La misophonie est à distinguer du trouble obsessionnel compulsif,ditTOC.

Dans la classification du DSM5 (classification psychiatrique), le TOC ne fait plus partie des troubles anxieux. 

Il est constitué de deux  paramètres : d’une part des obsessions, et d’autre part des compulsions. Les symptômes font perdre au moins une heure par jour au patient et il y a un retentissement significatif sur le fonctionnement familial, social et professionnel, pour que le TOC soit caractérisé.

Les obsessions sont des irruptions de pensées, récurrentes et persistantes. Ce sont des pensées intrusives et inappropriées, sources d’inconfort. Le patient tente de réprimer ces obsessions. Il les réprime alors par des compulsions, à savoir des comportements répétitifs, des actes mentaux, accomplis en réponse à une obsession, destinées à neutraliser un sentiment de détresse (stratégie d’adaptation ou dite de « coping »). 

Le TOC se traduit par des rituels, par de l’évitement, et par des thématiques  à typologie de contamination pour les « laveurs » qui se laveront les mains parfois jusqu’au sang, à typologie de vérification pour les « vérificateurs » qui vérifieront par exemple à maintes reprises qu’ils ont bien fermé leur porte avant de quitter leur domicile, ou à typologie d’ordre et de symétrie pour les sujets marchant sur le trottoir sur un trajet bien précis. Le traitement par les thérapies cognitivo-comportementale est ici indiqué, avec des expositions « in vivo » et en imagination aux conditions qui déclenchent les obsessions. 

6/La misophonie est à distinguer du trouble post traumatique.

Le stress post traumatique est l’exposition à un traumatisme au cours duquel le patient ou une autre personne est morte ou a risqué de mourir ou d’être gravement blessé. L’exposition peut avoir été directe comme indirecte. Les symptômes perdurent plus d’un mois après la survenue du traumatisme. La sémiologie d’un tel trouble intègre 3 grands signes :

-un syndrôme de répétition (réviviscences involontaires ou flash back intrusifs ou répétitifs, cauchemars)

-une conduite d’évitement

-une hyperactivation neurovégétative (hypervigilance à la menace, sursauts, irritabilité, trouble du sommeil, difficulté de concentration).

On traite l’état de stress post traumatique par la psyschothérapie, notamment avec les TCC (thérapie cognitivo-comportementale), par des traitements pharmacologiques (les inhibiteurs sélectifs de recapture de la sérotonine) et par la technique de l’EMDR (eye movment desensibilisation and reprocessing), qui permet d’agir sur les structures cérébrales. Certains misophones ont d’ailleurs testé l’EMDR pour agir sur le cerveau, des études sont en cours. Les perspectives de recherche sur le sujet sont encore à l’état de potentiel.

7/La misophonie est à distinguer du trouble du traitement de l’information sensorielle (hyperesthésie, allodynie)

Dans le trouble du traitement de l’information sensorielle,le sujet éprouve de la difficulté à interpréter les stimuli sensoriels, ce qui a pour conséquence de déclencher chez le sujet des troubles de l’humeur et du comportement. La personne est ici submergée par ce qui paraît pour toute autre personne un niveau normal de stimuli sensoriel. C’est l’exemple d’une personne qui éprouve de la souffrance due au poids d’un simple drap sur sa peau dans son lit, ou encore la personne incommodée par une lumière d’une intensité tout à fait normale. Ces sujets peuvent être soit dans l’hypersensibilité sensorielle, soit dans l’hyposensibilité sensorielle. Les sens impactés sont la vision, l’audition, le toucher, l’olfaction, le goût. De plus, les fonctions vestibulaires sont également concernées (la sensation que vous donne le mouvement, par exemple le fait de remuer les bras ou les jambes).

Les réactions peuvent être le combat (hypersensibilité sensorielle), la fuite (hypersensibilité sensorielle), ou l’apathie (hyposensibilité sensorielle).

A mon sens, mais cela n’est qu’une hypothèse, il y aurait un lien à faire entre misophonie et trouble du traitement de l’information sensorielle. Des ponts seraient à bâtir entre ces deux troubles, même si ils restent différents. Des études restent à être menées sur le sujet. A bon entendeur.

Par ailleurs, la misophonie est à distinguer des autres troubles de l’enfant (TDAH et troubles de l’humeur). Une pensée ici pour les parents d’enfants misophones, qui chercheraient à comprendre le comportement suspect de leur enfant.

8/L’enfant misophone est à distinguer de l’enfant TDAH(trouble de l’attention avecou sans hyperactivité).

Les caractéristiques de l’enfant TDAH se résument dans la triade :

-déficit d’attention (l’enfant a des difficultés de concentration, il ne termine jamais ce qu’il entreprend, il paraît ne pas écouter)

-hyperactivité motrice (l’enfant s’agite, ne tient pas en place, prend des risques)

-impulsivité (l’enfant n’attend pas son tour, se précipite pour répondre en classe, interrompt souvent les conversations, a du mal à se conformer aux ordres et à organiser son travail). Attention, un enfant turbulent n’est pas forcément TDAH, tout cela est à prendre avec de la mesure !

9/L’enfant misophone est à distinguer de l’enfant présentant des troubles de l’humeur.

La triade sémiologique de la dépression chez l’enfant est la suivante :

-comportement agressif

-maux somatiques

-arrêt du jeu

L’enfant déprimé ne ressemble donc pas dans tous les cas à un enfant triste. Mais bien souvent, l’enfant est tout le temps dépité, il n’a plus envie de faire des choses amusantes ou de jouer. Il n’a plus d’appétit ou au contraire il mange énormément, il préfère rester toute la journée au lit, il est souvent fatigué ou à court d’énergie, il pense que tout est de sa faute, se sent inutile et ne se sent pas lui-même, a des difficultés d’attention pour les devoirs ou au contraire est sujet à un surinvestissement scolaire, a des problèmes d’estomac, des changements brutaux de poids.

Au terme de cet article, vous devez  avoir une vision plus aiguisée de ce qu’est la misophonie (se reporter à mon article « qu’est-ce que la misophonie »), en ayant définit les contours par la négative, à savoir par ce qu’elle n’est pas.