Joseph E. Ledoux : les prémisses d’une thérapie prometteuse ?

Les travaux de Joseph Ledoux

L’une des théories de travail est que les stimuli auditifs peuvent être interprétés par le cerveau comme dangereux ou menaçants. En tant que tel, le cerveau réagit comme s’il était réellement en danger. Lorsque nous sommes en danger, notre système de fuite/combat est déclenché. Lorsque cela se produit, notre système autonome (système nerveux involontaire) est activé.

Lorsque notre système nerveux involontaire est excité, des changements physiologiques et hormonaux se produisent (le sang est redistribué dans tout notre corps, la fréquence cardiaque augmente, etc.) pour nous permettre de «fuir» le danger apparent ou de «combattre» si nous le devons.

C’est un système que tous les mammifères possèdent et qui a été conservé par l’évolution. Suite à l’activation du système fuite/combat, notre réaction première est de nous éloigner des stimuli (sonores ou visuels) offensants. Notre réaction est accompagnée d’un sentiment de rage.

En d’autres termes, l’irritation, la colère et la rage que nous ressentons face à ces sons nocifs se manifestent probablement lors de la réaction physiologique de fuite/combat.

Il est difficile de séparer nos sentiments physiologiques de nos émotions, de faire la part des choses entre les deux, c’est pourquoi il est important de regarder les zones du cerveau qui réagissent aux sons et à d’autres stimuli. Joseph Ledoux décrit bien une différence entre les émotions et les réponses physiologiques à la menace, orientées vers la survie de l’organisme, réponses permettant de nous garder en vie.

En effet, les expériences sur des rongeurs ont montré que l’animal a une réponse physiologique à la menace. Ces réponses sont similaires à ce que peut connaître l’humain dans sa réponse à la menace. Il ne s’agit donc pas ici d’émotion au sens psychologique du terme, mais d’une réponse physiologique.

Cela n’empêche pas que cette réponse physiologique engendre naturellement chez nous des émotions négatives (irritation, colère, rage, en fonction de l’intensité de la misophonie). Mais il convient bien de séparer la notion d’émotion de la notion de réponse physiologique à la menace. Cette considération appuie le fait que la misophonie est un trouble neurologique, même si il a des répercussions psychologiques. Il faut considérer ces deux champs : le champ neurologique ainsi que le champ psychologique du misophone auquel il convient évidemment de porter attention, de part les répercussions biopsychosociales dont il est victime.

La réponse de fuite/combat est gérée par l’amygdale. Au laboratoire Ledoux de l’université de New York, Joseph E. Ledoux et ses collègues étudient l’amygdale depuis des décennies. Ils ont fait un travail révolutionnaire dans cette partie du cerveau qui intervient dans le système fuite/combat, et est également impliqué dans les processus neuronaux liés à la mémoire et à la peur.

Dans la misophonie, qu’une personne soit née ou non avec ce trouble, le sujet crée des souvenirs dans lesquels la réponse de fuite/combat du corps est associée à des sons particuliers. De plus, certains d’entre nous peuvent naître avec un système de sensibilité supérieure, ou peuvent tout simplement être plus sensibles aux stimuli auditifs. Par conséquent, certaines personnes peuvent être plus vulnérables à la formation de ces souvenirs.

Une fois que ces souvenirs sont formés, ils sont similaires aux souvenirs de traumatismes (ces souvenirs ont été construits cependant sans traumatisme associé).

Les stimuli auditifs déclencheront alors le système nerveux autonome du misophone, piégeant ce dernier dans une boucle de réactions réflexes de fuite/combat involontaires, comme dans un cercle vicieux.

Une étude sur des rongeurs a montré que l’animal réalise des associations dans sa mémoire, et que son système d’apprentissage lui fait associer un son à des stimuli désagréable. Si la situation s’inverse, l’animal est également capable de désapprendre ce qu’il a appris. C’est ainsi que l’on voit sa réponse « s’éteindre ».

Le neuroscientifique Joseph Ledoux travaille sur la capacité de renverser ces souvenirs associés depuis de nombreuses années. Son travail est réalisé pour l’instant dans le champ de la «science fondamentale». Il reste maintenant à appliquer les fruits de sa recherche. L’application viendra probablement de neurosciences, qui s’efforceront d’examiner les processus cérébraux à l’œuvre, afin de concrétiser les méthodes sur des échantillons de population.

Recherche fondamentale sur  la  reconsolidation de la mémoire par l’équipe de recherche de Joseph Ledoux, prémisses d’une thérapie prometteuse ?

La thérapie d’exposition (s’exposer méthodiquement et volontairement au stimulus) ne fonctionne pas dans le cadre de la misophonie.

Par ailleurs, la thérapie qui consiste à réassocier les stimuli désagréables avec des événements plus heureux (cf  la thérapie de rééducation des acouphènes ou « Tinitus retraining thérapie » du professeur Jastreboff semble ne pas avoir d’effets durables sur la misophonie.

Ainsi, Joseph Ledoux, dont le champ d’investigation est bien plus large que la misophonie, (ses travaux englobent les phobies, les syndromes post traumatiques, etc…) a cherché d’autres moyens pour changer les associations dans le cerveau entre un stimulus particulier et la réponse à la menace activée automatiquement une fois qu’elle a été associée à ce stimulus. Ce processus d’association est appelé consolidation de la mémoire.

Dans le début des années 2000, Joseph Ledoux découvre qu’à chaque fois que nous récupérons une information dans notre système de mémoire à long terme, cette mémoire change très légèrement. Cette découverte est contraire à la façon antérieure dont les scientifiques se représentaient la mémoire, à savoir une mémoire stable et toujours récupérée intacte dans notre système de mémoire à long terme.

Ainsi, Ledoux prouve que la réponse physiologique à un stimulus peut être modifiée, par ce qu’il  appelle la reconsolidation de la mémoire.

La plupart des thérapeutes de l’école cognitivo-comportementale s’appuient sur l’exposition à des stimuli aversifs pour désensibiliser les personnes de leurs traumatismes, ou pour réapprendre aux patients une nouvelle association entre un son et une personne en particulier par exemple. Pour la misophonie, cela ne marche pas. Selon Joseph Ledoux, bien souvent, les résultats ne sont pas au rendez-vous, et si les praticiens obtiennent des résultats, ils ne durent pas.

Pourquoi ne durent-ils pas ?

A cause de la mémoire.

C’est pourquoi la méthode de Ledoux semble résoudre ce problème en utilisant des moyens subconscients pour changer la façon dont la mémoire est consolidée, en remaniant la manière dont elle a été consolidée : ce processus s’appelle la reconsolidation.

Les travaux de Ledoux annoncent-ils une thérapie prometteuse pour la misophonie ? Espérons que oui. Il est encore trop tôt pour le savoir. Cette méthode est utilisée à l’heure actuelle pour traiter les phobies et non la misophonie.

Les résultats des recherches montrent que les « répondeurs » extrêmes sont les moins susceptibles de « désapprendre ». Autrement dit, plus l’intensité de la misophonie est élevée, plus il est difficile de la traiter.

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